Pour ceux qui l’ignorent, je suis rédacteur technique de profession. Ingénieur de formation, mais dont la carrière a bifurqué il y a de cela près de 4 ans, vers la rédaction technique.
Qu’est-ce que ça mange en hiver, un rédacteur technique, m’écrirez-vous? Eh bien, tout dépend du domaine. Mais en gros, l’essentiel du travail de rédacteur technique en est un de vulgarisation. Les fameux manuels que personne ne lit jamais sont rédigés par des rédacteurs techniques. Même les instructions d’assemblage d’Ikea sont probablement conçus par des rédacteurs techniques, même si plusieurs graphistes y apportent sûrement leur contribution.
En fait, les utilisateurs ne lisent les manuels que lorsqu’ils ont de sérieux problèmes que leur système D ne peux résoudre. Ils bénissent alors le ciel pour la qualité de l’information trouvée, ou maudissent le fabricant en contactant le service d’assistance technique.
Pourquoi je vous parle de rédaction technique? Parce qu’il s’avère que mon domaine d’expertise est celui de l’énergie, tout particulièrement des systèmes de modernisation des postes électriques et des réseaux de distribution d’énergie. Je crois donc être parfaitement qualifié pour vous parler de ces fameux compteurs en or d’Hydro-Québec.
Si vous écoutez un peu la télévision, vous avez sûrement vu la publicité en question. Autrement, vous pouvez avoir vu l’équivalent dans un journal, ou sur un site web. Si vous ne savez toujours pas de quoi il est question, je vous invite à visiter le site web qui présente de long en large ce qui s’avère être une campagne syndicale peu subtile visant d’abord et avant tout la préservation d’un rapport de force.
Qui se cache derrière la campagne?
D’abord, le site web demeure vague à ce sujet, mais pas complètement. En fouillant un peu, on voit rapidement qu’il a été conçu par (ou pour) le Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, la section locale 2000 du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP-2000). Le site a donc un biais évident, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il ne contient que de la propagande syndicale. Il présente également des éléments factuels, mais ceux-ci survivent-ils à l’épreuve des faits?
Le remplacement des compteurs actuels
Je n’entrerai pas les détails économiques, n’étant pas économique de formation. J’assumerai donc que les chiffres fournis par le SCFP-2000 sont valides. Par contre, ce que le site omet de préciser, c’est l’autre côté de la médaille. Les dirigeants d’Hydro-Québec ne sont quand même pas des abrutis. Et bien que le cynisme ambiant nous a habitué au copinage, je doute que la haute direction de notre chère société d’état soit entièrement acoquinée avec ceux de Landys+Gyr, le fabricant de compteurs intelligents qui a été sélectionné pour approvisionner le Québec en cet élément de controverse.
Alors pourquoi donc remplacer les compteurs mécaniques actuels par des compteurs dits intelligents, qui peuvent être lus à distance et automatiquement ? La lecture en temps-réel de la consommation électrique des ménages québécois va s’avérer fort utile pour gérer la crise énergitique qui pointe à l’horizon.
Vers la crise énergitique
Non seulement la consommation électrique mondiale est en forte croissante, avec le nombre grandissant d’appareils énergivores dans nos foyers, mais l’arrivée prochaine de la voiture électrique va faire bondir cette consommation de manière phénoménale. Imaginez : toutes ces voitures arrivant à la maison sur l’heure du souper, rapidement mises en mode chargement. Vous vous demandez qu’est-ce que ça a à voir avec les compteurs intelligents? J’y viens…
Le plus gros sujet de recherche dans le domaine électrique est au niveau de la conservation de l’énergie électrique, à l’aide de batteries de haute capacité. C’est d’ailleurs le point faible des énergies vertes: on ne décide pas de la force du vent et de l’intensité du soleil; étant difficilement stockable, il faut utiliser l’énergie éolienne et solaire dès qu’elle est produite. L’hydro-électricité est plus facilement gérable à ce niveau: on peut augmenter ou réduire le débit d’eau dans les barrages, selon la demande.
Ainsi, il se gaspille une quantité impressionnante d’énergie: car le réseau est conçu pour répondre à la demande des périodes maximales de consommation. Comme l’heure du souper l’hiver, où se font aller les chauffe-eau, les fours, le chauffage, l’éclairage, etc. Hydro-Québec recommande toujours à ses utilisateurs de faire fonctionner leurs lave-vaisselles, laveuses et sécheuses en dehors des périodes maximales de consommation.
C’est bien beau la sensibilisation, mais ça ne fonctionne jamais assez. Il faut viser le consommateur là où ça fait mal: pas dans les couilles, mais dans sa poche. Il faut donc pouvoir facturer l’énergie à un taux plus élevé durant les périodes de pointe, et à un taux plus faible aux périodes de faible consommation, en espérant que ça le fera davantage changer ses habitudes et que l’on gaspillera moins d’énergie. Vous voyez où je veux en venir? Les compteurs intelligents permettent la facturation variable, car ils permettent la lecture en tout temps de la consommation, ce qui n’est bien sûr pas possible lorsqu’un employé doit en faire la lecture manuelle.
Plusieurs services publics d’énergie américain utilisent déjà les compteurs intelligents à cette fin. Hydro One en Ontario a déjà un projet pilote en marche. Hydro-Québec, qui est habituellement un leader en la matière, traîne un peu de la patte à ce niveau. Et c’est sans compter les programmes de réponse à la demande, qui permet aux compagnies d’énergie du même genre qu’Hydro-Québec d’offrir des tarifs réduits à ces clients pour pouvoir arrêter temporairement à distance leur air climatisé en milieu de journée, lorsque ceux-ci ne sont pas à la maison, afin de réduire le gaspillage.
Tous ses efforts permettront, à terme, d’exporter toute l’énergie économisée aux américains. Donc, en plus des économies réalisées par les québécois, ceux-ci récolteront plus de bénéfices par l’entremise des ventes extérieures de leur société d’état chérie. Je doute que ces chiffres soient inclus dans les estimés du SCFP-2000.
Le vrai problème, s’ils en est un
L’arrivée des compteurs intelligents est donc inévitable, et l’ensemble des bénéfices apportés ont volontairement été omis dans la campagne publicitaire des compteurs en or, ce qui constitue à mon avis une tactique malhonnête. Un peu plus de transparence aurait été souhaitable, même si on s’entend que le sujet est quand même très complexe, surtout pour le commun des mortels. Du moins, ce n’est pas avec ce genre de campagne que les syndicats vont redorer leur blason, fortement mis à mal par les groupes de droite et les abus d’une poignée de ces membres qui sont rapportés à grands coups d’éclat dans certains médias.
Le vrai problème, s’il en est un, est celui de la confidentialité du consommateur. Le compteur intelligent peut être vu comme un autre pas qu’effectue Big Brother pour pénétrer dans votre demeure, afin de tout savoir sur votre consommation d’énergie, sur l’utilisation de vos appareils, bref… des activités que vous faites chez vous, en privé. Mais encore faut-il qu’Hydro-Québec obtienne les autorisations pour se rendre jusqu’à ce niveau de détail dans sa cueillette de données… et que le reste des appareils que vous possédez à la maison soit capable de les lui fournir. Il faut donc maintenir la vigilance, mais on s’entend qu’on est encore loin du compte.
Pour ce qui est des pertes d’emplois, j’éprouve de la sympathie pour les membres du SCFP-2000, mais je crois qu’ils devraient plutôt prendre exemple sur leurs homologues scandinaves, qui essaieraient plutôt de s’entendre avec l’employeur pour donner à ces employés une seconde carrière, plutôt que de préserver un métier un peu archaïque en cette deuxième décennie du 21ème siècle, celui de releveur de compteur.