Archives de Mai, 2012

J’en ai lu des vertes et des pas mûres depuis le début du conflit qui oppose les étudiants  au gouvernement sur la question des frais de scolarité, et qui s’est littéralement transformé en grand mouvement social. Je sais qu’il y a eu des débordements argumentaires et émotifs (pour ne pas dire démagogiques) dans les deux camps. L’objectif de ce billet n’est pas d’en faire l’énumération, ou de faire la démonstration que les « verts » ont été plus ignobles que les « rouges » (ou vice-versa). Je tiens seulement à démonter un cheval de bataille de plusieurs détracteurs du mouvement de protestation actuel, à l’effet que celui-ci soit dirigé et essentiellement constitué d’adeptes du statu quo.

Les manifestants du statu quo?!

Ainsi, d’après André Pratte et Alain Dubuc (La Presse), Martin Coiteux, Joseph Facal (JdQ/JdM), Richard Martineau (TVA, JdM, JdQ), les manifestants et protestataires sont des tenants du statu quo. Ce sont des bébés gâtés qui veulent uniquement préserver les acquis actuels sans aucun ajustement ou changement. Que les manifestants croient (c’est du moins la prétention de ces chroniqueurs) qu’il soit possible de maintenir les frais de scolarité bas, sinon de les abolir, sans aller chercher de l’argent neuf pour nos universités ailleurs. Et qu’il en est de même pour pas mal tous les services publics. Et bien sûr, les manifestants veulent toutes ces choses aveuglément, étant manipulés et à la merci des grandes et méchantes centrales syndicales qui sont la cause réelle de tous les problèmes du Québec. Car après tout, les problèmes dans l’industrie de la construction sont manifestement la preuve que tout ce qui tourne pas rond au Québec est la faute du syndicalisme et l’État Providence, non? (sarcasme)

Je suis POUR le changement

Je ne parlerai pas au nom de tous les manifestants. Je crois que nul n’a le droit de le faire, puisque nous sommes pas un bloc homogène. Je parlerai en mon nom propre et j’inviterai d’autres à y joindre leur voix et à manifester leurs propres différences s’ils le désirent.

Je ne suis pas un partisan du statu quo. C’est bien mal me connaître que de croire que je suis allergique au changement. Je suis, comme tout être humain, naturellement résistant au changement, à l’inconfort qu’il apporte à mon quotidien. Mais je ne m’y oppose pas fondamentalement, pour autant qu’il soit pour le bien de la collectivité. Je suis donc un partisan du changement.

Mais contrairement aux chroniqueurs et éditorialistes susmentionnés, je crois qu’il est possible de réformer le système actuel vers la gauche, plutôt que vers le centre ou la droite. Ce qui ne veut pas dire de gaspiller davantage. Ni de donner plus de pouvoirs aux centrales syndicales qui font preuve du même esprit de corporatisme que certaines grandes entreprises. Aller vers la gauche ne veut pas dire non plus d’augmenter la dette à l’infini, ni de transformer le Québec en bastion communiste.

(Petite parenthèse en passant…. Pour ceux qui l’ignorent, le communisme n’a jamais réussi à s’implanter en Russie, qui s’est contenté de faire dérailler un régime socialiste à grands coups de totalitarisme et de corruption); et en Chine, actuellement, on a davantage affaire à une dictature capitaliste, qu’à un régime en bonne et due forme; et pour ce qui est de Cuba, il n’y a de communiste que le parti au pouvoir, mais on a plutôt affaire à un régime socialiste. Tout ça pour dire que le communisme est une vue de l’esprit inatteignable, et probablement non souhaitable. Alors n’ayez crainte: si c’est le communisme qui vous fait vraiment peur, c’est pas demain la veille que le Québec se tournera vers ce modèle de gouvernance…)

Je crois en un État fort, mais efficace, où tous les employés seraient fiers et adeptes de l’amélioration continue; pas pour travailler plus, mais pour en venir à améliorer constamment les services livrés à la population, et à en réduire progressivement les coûts, en éliminant le gaspillage. Je crois en une exploitation juste et équitable de nos ressources naturelles, qui considérerait l’environnement au même niveau que l’économie. Je crois en la modernisation du mouvement syndical, qui jadis fut  un modèle à l’international, et qui gagnerait à s’inspirer de ce qui se fait maintenant dans les pays scandinaves. Je crois en l’entrepreneuriat et l’innovation, et à la participation de tous les citoyens à la croissance d’une économie nouvelle, basée sur le savoir et le développement durable. Et je crois que TOUS les québécois devraient en bénéficier de manière juste et équitable, à la hauteur des efforts qu’ils voudront y mettre. Je vois mal en quoi ceci incarne le statu quo…

Chasser le statu quo et il revient au galop

Et si, au contraire, faire la promotion du statu quo était en fait de se taire et de laisser choses empirer? De laisser la corruption gangrener la société québécoise au point de devenir une nouvelle Grèce? De laisser nos dirigeants transférer le fardeau de la dette et de la fiscalité sur les épaules des jeunes travailleurs, plutôt que de répartir le tout convenablement entre les jeunes et les moins jeunes, les entreprises et les travailleurs? De conserver ce système parlementaire britannique qui alimente le cynisme citoyen, plutôt que d’opter pour un système proportionnel mixte, voire même à deux tours? De… (ah non, fait pas ça Math… c’est pas une bonne idée… et tant pis, je me lance…) … de demeurer au sein d’un pays qui nous ressemble de moins en moins, exempt de projet de société et dans lequel nous ne voulons pas que nos enfants grandissent?

Et si c’était ça le statu quo, en quoi les manifestants de ce printemps érable en serait-ils les plus farouches défenseurs? Je crois que l’on devrait relancer la balle à tous ces chroniqueurs mentionnés précédemment, leur dire de se regarder dans le miroir, puis d’aller se faire voir ailleurs! (j’aimais mieux la mouture originale de cette phrase, mais c’était vraiment beaucoup moins poli…)

Peut-être bien que je suis un rêveur. Peut-être aussi que je suis légèrement idéaliste, voire même utopiste. Ça me convient et je sais porter le chapeau lorsqu’il me va. Mais adepte du statu quo, ah ça, pas du tout!

Depuis le début du conflit, j’analyse, j’explique, j’argumente, je décrie, je débat. Je crois l’avoir fait avec respect, avec tous mes amis, collègues de travail et membres de ma famille. Et jamais, au grand jamais, il ne me serait venu à l’idée d’imposer mes idées aux autres; de restreindre leur droit à la liberté d’expression.

Je crois l’avoir fait avec respect. Mais je m’apprête ici à franchir la ligne pour une catégorie de personnes: celles qui croient tellement en la hausse de frais de scolarité qu’ils sont prêts à accepter une loi aussi anti-démocratique et anti-constitutionnelle. Car il faut être soit stupide, soit égocentrique, soit totalement inconscient pour accepter que des droits démocratiques aussi fondamentaux puissent être brimés, alors d’autres moyens sont actuellement à la disposition du gouvernement et des forces de l’ordre pour ramener la paix sociale et faire respecter certaines libertés individuelles qui semblent brimer.

Que l’on soit pour ou contre la hausse de frais de scolarité, il faut effectivement être stupide pour jouer le jeu d’un Premier Ministre (qui lui ne l’est pas) si imbu de lui-même et accroché au pouvoir qu’il est prêt à diviser, mentir, salir, et ridiculiser toute une frange de la population, tout en brimant leurs droits les plus élémentaires, au nom d’une prétendue démocratie dont il ne mérite plus d’en être le représentant.

Car Charest est en train de gagner son pari. Misant sur l’inculture et la stupidité d’une frange de la population, il est en train de convaincre ceux qui étaient jusqu’à tout récemment insatisfaits de sa vision et gestion du Québec, qu’une seule cause mérite soudainement qu’il fasse le plein de vote. Qu’on lui redonne notre confiance, alors qu’il ne la mérite pas. Et il la mérite encore moins, en tant que Ministre de la Jeunesse, de les museler à ce point, sans même avoir pris le temps de discuter avec eux.

J’ai honte aujourd’hui. Hier, j’avais honte en mon gouvernement. Aujourd’hui, à la lecture des sondages, j’ai honte des québécois. Un mélange de honte de dégoût.

Je le redis: j’ai honte de voir certains de mes concitoyens aveuglés à ce point par le conflit qu’ils en soient rendu à accepter des conditions démocratiques dignes de pays totalitaires; j’ai honte de voir une aussi faible auto-défense intellectuelle de mes concitoyens; j’ai honte de voir qu’ils leur reste si peu d’intelligence et de sens critique.

J’ai honte. Tellement, tellement, tellement honte…